CONTEXTE
Le territoire Vins des Sables, zone de plus de 3 000 hectares située en Camargue Gardoise est sujet à un phénomène de salinisation de ses sols. La problématique n’est pas inédite, toutefois elle s’est lourdement intensifiée en 2021, notamment suite à un déficit pluviométrique prolongé sur la période de septembre à mars. En 2021, environ 500 hectares ont été concernés par les problèmes de salinité, dont quasiment 200 hectares touchés par une mortalité des ceps. Les chutes de rendement ainsi que le niveau de mortalité observé représentent une réelle inquiétude quant à la pérennité de la filière viticole dans cette région littorale. La situation requiert des solutions urgentes et les vignerons lancent un véritable signal d’alarme pour la survie de leurs vignes et le maintien de l’implantation de l’appellation.
La récurrence d’hivers secs participe à accentuer la remontée de sel dans les sables de Camargue, mais les causes du phénomène sont nombreuses. Pour en citer quelques-unes, sans hiérarchie :
- élévation du niveau de la mer,
- baisse des flux d’eau douce dans le secteur due à la régression de la riziculture,
- modification du fonctionnement des roubines permettant l’évacuation des eaux salées.
OBJECTIFS
Sur les parcelles ne pouvant être arrosées au goutte-à-goutte durant l’été en raison de la saturation des réseaux, mais qui ont accès à l’eau en période hivernale, BRL souhaite évaluer la pertinence de pratiquer un dessalement des sols par aspersion en sortie d’hiver. Il s’agit :
- d’évaluer l’efficacité de cette pratique sur la production de raisins et la survie de la vigne,
- de déterminer la dose minimale adaptée au dessalement de sols sableux.
Par ailleurs, BRL souhaite déterminer dans quelle mesure et dans quelles conditions l’irrigation au goutte-à-goutte en été pourrait constituer une méthode de lutte. Il s’agit de :
- caractériser les pratiques d’irrigation des viticulteurs de la zone,
- identifier des voies d’optimisation.
METHODE
1. Essai de dessalement
2 parcelles
- Une parcelle de grenache (Listel)
- Une parcelle de cabernet franc (Le Mole)
3 modalités
- D1 approximativement égale à la réserve utile multipliée par 1,2 : il s’agit de la dose supposée permettre le lessivage des sels en profondeur (resp. 82 et 117 mm).
- D2 correspond au double de la dose apportée sur D1 : cette dose correspond aux quantités d’eau habituellement apportées pour lutter contre la salinité (resp. 198 et 261 mm).
- Témoin sans irrigation.
Mesures réalisées
- Analyses de sols (3 profondeurs)
- Mesures de croissance végétative (apex, volume de végétation, longueur de rameaux)
- Mesures de production (estimations sur pied début août)
- Suivi d’humidité et de salinité du sol (sondes Sentek®)
2. Etude de l’effet de la pratique du goutte-à-goutte sur la tolérance à la salinité
La deuxième phase consiste à sonder les pratiques des agriculteurs afin de comprendre de quelle façon ils peuvent utiliser le système d’irrigation en goutte-à-goutte comme méthode de lutte.
Une grille d’entretien a été conçue et 6 viticulteurs ont pu être interviewés.
RESULTATS
1. Essai de dessalement
De premiers résultats se dégagent de la campagne de mesures.
- Effet « lessivage » : les analyses de terre montrent que l’irrigation permet de faire chuter la concentration en NaCl, sur les horizons profonds où elle est conséquente avant aspersion.
- Mesures de végétation : les différentes mesures effectuées illustrent l’absence de contrainte hydrique sur la modalité ayant reçu la plus grande quantité d’eau : plus de volume de végétation, apex en croissance plus longtemps.
- Mesures à la récolte : les modalités irriguées présentent un avantage en termes de rendement par rapport au témoin, évalué entre 13 et 27 % de rendement en plus.
Globalement, les effets positifs mesurés sur la vigne ayant reçu une irrigation en mars peuvent être imputés à un meilleur état hydrique, cette irrigation pouvant être assimilée à une recharge hivernale. Les deux doses d’irrigation, complétées par une pluie significative fin juin et une autre mi-aout ont permis à la vigne de ne jamais subir de stress hydrique, ce qui est notable vu le peu de précipitations et les ETP élevées de la saison 2022. L’effet lessivage semble moins clair à interpréter, dans la mesure où la fonction de drainage des roubines semble peu efficiente. Cet essai serait à reproduire dans une zone où la nappe salée est mieux drainée. Autre limite : la parcelle choisie est très abîmée par les effets de la salinité des années antérieures, ce qui joue certainement dans la lecture des résultats, et qui amplifie les écarts entre le témoin et les modalités irriguées.
2. Pratique du goutte-à-goutte
L’objectif était d’établir (ou non) la relation entre pratiques d’irrigation et résistance aux remontées salines.
On souhaitait donc connaître les pratiques des agriculteurs et leur variabilité :
- Les dates de démarrage et d’arrêt des irrigations,
- Les quantités d’eau apportée.
Les 6 viticulteurs questionnés ont été unanimes sur leur perception de l’effet bénéfique et protecteur du goutte à goutte en zone saline. Les irrigations démarrent dans le courant du mois de mars pour tous les viticulteurs enquêtés et se terminent courant septembre. Les doses apportées sont comprises entre 400 et 500 mm sur 5 exploitations, et entre 170 et 350 sur la sixième, qui est sur un secteur où la salinité est peut être inférieure.
DISCUSSION
Les expérimentations ont rencontré plusieurs limites techniques :
- Choix d’une parcelle sur deux ne présentant pas un problème suffisant pour être intéressante sur le plan expérimental,
- Complexité de la répartition de la salinité sur une parcelle, et de son dynamisme suite aux pluies ou irrigations en fonction de la proximité d’une roubine, de l’altitude, etc,
- Effet cumulatif du problème sur l’état de la vigne qui a introduit un fort biais sur l’expression végétative et de production de la vigne,
- Difficulté d’installation des sondes qui a entraîné une interprétation très hasardeuse des mesures de salinité,
- La saison 2022 a été suffisamment pluvieuse sur le secteur pour diminuer naturellement la pression.
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
A l’issue de ce travail mené sur une seule année, deux parcelles expérimentales et un échantillon modeste d’enquête, les apports d’eau douce par irrigation semblent être une méthode de lutte efficace contre les remontées salines, que ce soit par aspersion ou goutte-à-goutte.
Afin de consolider ces résultats, il serait intéressant de reconduire l’expérimentation sur une parcelle homogène. Il serait également intéressant de préciser les doses nécessaires, à la fois en aspersion et en irrigation au goutte à goutte afin de diminuer éventuellement les apports pratiqués, en particulier en fonction de l’analyse des pluies hivernales et de la connaissance de l’état initial des sols et de la nappe sous-jacente.
Par ailleurs il est important de noter que la problématique de la salinité dans la zone des Vins Sable de Camargue est multifactorielle. Une approche du fonctionnement global du système est nécessaire pour en améliorer la compréhension et évaluer les différents leviers d’action qui pourraient être activés, au-delà de la seule irrigation.
A propos de ce travail
Ce travail a fait l’objet d’un stage de validation de Master 2 Sciences de l’Eau, Parcours Eau et Agriculture, réalisé par Louise Hurand d’avril à août 2022, au sein de BRL.