Eau et viticulture : la Méditerranée aux avant-postes ? Séminaire du 11 mai 2023 à l’Institut Agro Montpellier

La chaire d’entreprises vigne et vin et la chaire partenariale Eau, Agriculture et Changement climatique ont organisé un séminaire intitulé : « Eau et viticulture, la Méditerranée aux avant-postes ? Enjeux et stratégies dans un contexte de changements climatiques et sociétaux ».

Environ 300 participants, professionnels des secteurs de l’eau et de la vitiviniculture, scientifiques, et étudiants, ont participé à cette journée.

Cette journée est née de la nécessité, face à l’urgence climatique et aux enjeux sociétaux qui lui sont liés, de croiser les visions des communautés scientifiques de l’eau d’une part et de la vigne et du vin d’autre part. L’objectif est de tendre vers une représentation commune qui permette de travailler ensemble et dialoguer, et d’aborder les enjeux liés à la question de l’eau en viticulture.

Pour cette première rencontre, les scientifiques et professionnels membres des deux chaires ont été invités à présenter leurs travaux, visions et questionnements. Différents leviers d’adaptation et de transformation qui pourraient s’appliquer à l’une des cultures les plus présentes sur le pourtour méditerranéen français ont été passés en revue.

L’ambition est forte, de dresser et partager un état de l’art d’un sujet aussi complexe en quelques heures, en donnant les bases scientifiques nécessaires pour pleinement appréhender la question : agro-climatologie, hydrologie, physiologie, agro-écologie, économie et stratégie de marchés…

Pas de solutions clés en mains, mais des éléments de compréhension, des démarches en cours, des résultats de recherche, pour éclairer des débats et des prises de décisions dans la sphère privée comme publique, et amorcer un dialogue entre deux chaires, dans le cadre de la mission d’intérêt général que le caractère mécénal leur impose.

Ces échanges ont permis d’identifier des points qui suscitent des débats, les chaires doivent être le lieu de prolongation de ces débats, des pistes de suites à donner sont en cours d’exploration.

Revoir les interventions

Introduction

9h00 : Mots d’ouverture par les deux chaires organisatrices

Pour la Chaire EACC : Sami Bouarfa, INRAE – directeur adjoint département AQUA

Pour la Chaire Vigne et Vin : Hervé Hannin, Institut Agro Montpellier – Directeur du développement IHEV (Institut des Hautes Etudes de la Vigne et du Vin)

A. La viticulture méditerranéenne face au changement climatique

9h15 : Changement climatique et viticulture : état actuel des connaissances – quels outils pour se projeter ?
Inaki Garcia De Cortazar, INRAE, AgroClim

Les effets du changement climatique sont déjà observables dans les régions de production du vignoble méditerranéen : une phénologie plus précoce, des conditions thermiques plus chaudes, notamment pendant la maturité, et un déficit hydrique accentué. Ces évolutions vont se poursuivre dans les années à venir et vont nécessiter de mobiliser des outils (modèles, indicateurs) adaptés pour caractériser ces changements et aider à définir les meilleures stratégies d’adaptation.

9h35 : Les rendements viticoles dans les différents segments de marché ; situations et évolutions en contexte de changement climatique ; un essai d’analyse spatiale des déterminants en Languedoc
Hervé Hannin, Institut Agro Montpellier, UMR MOISA

Tous les segments viticoles, quels que soient leurs rendements-plafonds autorisés, connaissent aujourd’hui des baisses de rendements préoccupantes. Les facteurs pédoclimatiques, liés à l’eau et à la température, jouent un rôle très important ; ainsi l’irrigation est devenue un enjeu très fort mais ne saurait occulter d’autres questions d’intérêt, celle des facteurs de succès de cette pratique, et celle des solutions alternatives notamment dans les zones difficilement irrigables…

09h50 : Approche prospective 2050 Climat, Eau, Agriculture en Languedoc – Zoom sur le bilan besoins/ressources en eau
Sébastien Chazot, BRL Ingénierie

BRLi présente une vue générale des travaux menés dans le cadre d’une très récente réflexion prospective à l’horizon 2050, à l’échelle du réseau hydraulique régional. Sont établis notamment un bilan des demandes de desserte en eau, une évaluation des diverses ressources potentiellement mobilisables, et une estimation des coûts associés aux développements de réseaux correspondants. Loin de promouvoir le développement de l’irrigation de la vigne comme seule voie d’adaptation, ou d’envisager la satisfaction de l’ensemble des demandes, cette analyse en grandes masses constitue un exercice prospectif qui a pour but d’éclairer des choix d’investissement et de politiques publiques.

Discussion

B. Face à la contrainte hydrique, quels leviers d’action hors irrigation ?

10h15 : Relations vigne-raisins sous contrainte hydrique
Anne Pellegrino, Institut Agro Montpellier, UMR LEPSE

L’alimentation hydrique joue un rôle clé dans la régularité des rendements de la vigne. Une bonne connaissance des impacts du déficit hydrique (seuils de réponse) sur le fonctionnement de base de la vigne et du raisin est essentielle pour optimiser les leviers culturaux en fonction des ressources disponibles.

10h25 : L’eau et la vigne : une vision systémique, les enseignements du projet LACCAVE
Nathalie Ollat, INRAE, UMR EGFV

La préparation des sols avant plantation, puis son mode d’entretien, le matériel végétal, le mode et la densité de plantation, la limitation de la productivité des jeunes vignes, le mode de conduite sont des leviers à combiner pour concevoir une viticulture la plus résiliente possible vis-à-vis de la sécheresse.

Discussion

11h15 : Adaptation et choix variétal sous contrainte hydrique
Luciana Wilhelm de Almeida, INRAE, UMR LEPSE

L’espèce V.vinifera en elle-même est déjà considérée comme une espèce adaptée à la sécheresse. Toutefois, les variétés présentent des degrés d’adaptation différents. La recherche de variétés plus adaptées est une stratégie, mais l’adaptation du vignoble à la sécheresse est multifactorielle. Au-delà du choix variétal, nous devons tenir compte de facteurs tels que le porte-greffe, le système de conduite, la densité de plantation et l’irrigation.

11h25 : Changement climatique : quel avenir pour les vignobles du Sud-Ouest ? Le projet SO’ADAPT, une action commune pour accompagner la production
Camille Guilbert, IFV

L’Interprofession des Vins du Sud-Ouest (IVSO), l’Institut Français de la Vigne et du Vin (IFV) et les Chambres d’Agriculture régionale et départementales du Sud-Ouest, ont décidé de s’associer afin de proposer des solutions pour une évolution cohérente des vignobles dans le contexte du changement climatique à l’horizon 2050. Le projet vise à identifier et caractériser les zones les plus vulnérables, ainsi qu’à sélectionner les solutions les mieux adaptées aux objectifs de production et réalistes au vu des contraintes climatiques futures.

11h35 : Gestion de l’enherbement et impact sur l’état hydrique de la vigne
Aurélie Métay, Institut agro Montpellier, UMR ABSYS

Les couverts végétaux en vigne fournissent de nombreux services (régulation d’adventices, pièges à nitrates, réduction du ruissellement) déterminés par leur biomasse et donc leur consommation en eau. Analyser le bilan hydrique, adapter la stratégie d’enherbement (surface, nature, durée, outil de destruction) et ajuster annuellement permet de prévenir le stress hydrique redouté par les viticulteurs.

Discussion

C. Quel modèle d’irrigation durable ?

12h00 : Principes de conception actualisés des réseaux d’irrigation collectifs viticoles : dimensionnement et monitoring
Pierre Savey, BRL Ingénierie

La conception et le monitoring des réseaux d’irrigation collectifs ont évolué conjointement avec l’évolution des usages (autorisation et développement de l’irrigation de la vigne notamment), l’exigence de performance dans une perspective de bonne gestion de la ressource, et la disponibilité de technologies nouvelles permettant notamment la télérelève et la télégestion.

12h10 : Gestion efficace de l’irrigation de la vigne : méthodes, outils, stratégies
Hernan Ojeda, INRAE, UE Pech Rouge

Face à l’augmentation de la sécheresse, le recours à l’irrigation implique la responsabilité d’assurer une gestion efficace de l’utilisation de l’eau. Dans cette présentation, un modèle de raisonnement d’irrigation est proposé pour assurer la pérennité et la viabilité économique du vignoble, en optimisant l’économie d’eau.

12h20 : Le développement de l’irrigation en Languedoc-Roussillon : quels effets à l’échelle des exploitations viticoles ?
Juliette Le Gallo, INRAE, UMR Innovation

Les premiers résultats de cette analyse montrent que les conditions, les raisons de l’accès à l’eau, et les impacts qui en découlent sont contrastés selon les types d’exploitations et les contextes locaux. A terme, ce travail permettra d’éclairer le débat sur les usages actuels et futurs de l’eau et leur valeur économique.

Discussion

14h15 : Les Eaux Usées Traitées, une nouvelle ressource pour l’irrigation en viticulture ?
Denis Caboulet, IFV
Nassim Ait Mouheb, INRAE, UMR G-Eau

La réutilisation d’eaux usées traitées (REUT) fait partie du panel de solutions à envisager pour satisfaire une demande croissante en viticulture. Au travers d’études de cas dans la région, les intervenants illustrent les questionnements sur l’opportunité et sur la manière de développer cette pratique, dans une logique de gestion intégrée des ressources en eau à l’échelle des territoires, et dans le contexte d’une récente évolution de la réglementation européenne en la matière.

14h45 : Gestion durable de l’eau sur le vignoble de Provence
Nicolas Garcia, Syndicat Côtes de Provence

Au cœur du plan stratégique d’adaptation au changement climatique du Syndicat Côtes de Provence : le développement et la sécurisation de l’approvisionnement en eau d’irrigation, et la montée en compétence de quelque 3 000 vignerons cultivant environ 20 000 hectares, en majorité dans le Var. Le directeur du syndicat évoque les enjeux économiques, techniques, financiers, et d’opinion publique liés à cette transformation et appelle au renforcement des liens avec les chercheurs.

14h55 : Objectif rosé : quels itinéraires hydriques pour le rosé en Provence ?
Juliet Girard, Société du Canal de Provence

Dans le cadre du projet “Objectif Rosé”, la SCP travaille avec le Syndicat des Côtes de Provence, le Centre du Rosé, les Chambres d’Agriculture et Fruition Science, sur le pilotage de l’irrigation comme levier de maîtrise de l’itinéraire hydrique de la vigne. Parmi les premiers résultats, la mise en évidence de différents “vécus hydriques” de la vigne, tous nécessaires et complémentaires pour l’élaboration du Rosé de Provence, et aussi un potentiel d’économie d’eau considérable grâce au pilotage par capteurs de flux de sève.

D. Table ronde : Quel avenir pour les vignobles méridionaux face à la crise de l’eau ?

15h15
Jean-Pierre Dumont – BRL
Carmen Etcheverry – AdVini
Nina Graveline – INRAE, UMR Innovation
Yvon Pellet – Conseil départemental de l’Hérault

Conclusion de la journée par un grand témoin

Jean-Marc Touzard, INRAE, UMR Innovation

  1. La viticulture et la société sont dans l’urgence climatique : il faut s’adapter et atténuer, et la méditerranée et ses vignobles sont bien aux avant-postes !
  2. L’enjeu est de rendre les vignobles plus résilients et l’eau est une ressource centrale pour y répondre : mais l’irrigation est une solution qui n’est pas généralisable, plutôt une solution de dernier recours et sous conditions !
  3. Il faut poursuivre les approches systémiques qui prennent en compte les interactions entre l’eau/la vigne/le raisin/le vin, et entre ces éléments et leur milieu biophysique et social. La démarche systémique répond aussi à la nécessité de combiner différentes options d’adaptation (cépage, gestion du sol, mode de conduite de la vigne, assurances…) et d’intégrer les autres usages de l’eau.
  4. Ces approches sont plus que jamais territoriales, renouvelant la question des liens entre vin et terroir, en intégrant les enjeux de circularité et d’impact, de construction stratégique avec les autres usagers de l’eau, de réorganisation spatiale du vignoble.
  5. La construction et le partage des connaissances est au cœur de la gestion globale de l’eau dans les vignobles. Cela concerne des indicateurs, des modèles, la conception de systèmes, l’évaluation de pratiques ou dispositif de gestion de l’eau et des vignobles… et cela suppose d’associer travaux scientifiques et expérimentations ou observations des viticulteurs, de développer des approches participatives… et de communiquer !
  6. La question de la responsabilité sur la gestion de l’eau s’impose toujours plus, guidant les conditions de l’irrigation : gestion concertée des volumes, préservation de la qualité de l’eau, pratiques plus économes et agro-écologique.
  7. Le changement climatique appelle le développement de démarches prospectives. Il faut anticiper et explorer plusieurs scenarios sur le contexte climatique et socio-économique, la ressource en eau, les options d’adaptation.
  8. La gestion de l’eau pour l’adaptation des vignobles, irrigués ou non, doit être flexible, en permettant par exemple la diversification, en s’appuyant sur des cahiers des charges ouverts à l’innovation, en intégrant des révisions régulières des règles de gestion ou des équipements collectifs.
  9. Les enjeux d’équité, de justice sociale et spatiale sont cruciaux, dans la répartition des usages, mais aussi des soutiens publics entre projets des vignobles irrigués et non irrigués…
  10. De nombreux chantiers se poursuivent ! Un ouvrage QUAE « La vigne, le vin, le changement climatique », des séminaires à Montpellier comme « Mieux planifier la demande en eau pour l’agriculture », le 28 septembre 2023, ou le Forum innovation les 13 et 14 novembre 2023. Mais aussi bien sûr des articles et d’autres événements co-organisés par les chaires EACC et V&V…

Echanges et questions

A. La viticulture méditerranéenne face au changement climatique

Quel est le poids de la filière vigne et vin dans les émissions de gaz à effet de serre en France ?

Dans la filière vitivinicole, les principales émissions de gaz à effet de serre sont dues à fabrication des bouteilles en verre, à la consommation de carburant par les engins agricoles, à la fabrication des engrais et produits phytosanitaires, aux transports et à la consommation énergétique pour réguler la température dans le chai. Mais il ne faut pas oublier ce qui est moins visible (services, gestion des déchets,…).

Selon les études, l’empreinte carbone d’une bouteille de vin de 0,75 L  dans un point de vente est comprise entre 0,6 et 3,1 kg eq. CO2.

Référence : Pinto Da Silva, L., Esteves Da Silva, J.C.G., 2022. Evaluation of the carbon footprint of the life cycle of wine production : A review. Cleaner and circular Bioeconomy 2 (2022) 100021.

Avez-vous modélisé les baisses de rendement à venir sur la base des évolutions température et eau qui sont annoncées, et quelle est la validité des modèles dans les gammes climatiques à venir ?

Nos modèles agronomiques (eau-sol-plante-atmosphère), modèles de rendement, de pression phytosanitaire, sont élaborés et validés dans des gammes climatiques données. Demeurent-ils valides dans les gammes climatiques nouvelles, comme par exemple en termes de concentration en CO2 atmosphérique significativement plus importantes ?
Dans le cas des modèles de culture (comme STICS), ils sont testés et calibrés dans des gammes climatiques données, mais ils sont aussi souvent évalués dans d’autres contextes (cas des exercices réalisés dans le programme international AGMIP). Les formalismes intégrés dans ces modèles (par exemple les courbes de réponse à la température) sont actuellement en train d’être testés pour s’assurer qu’ils sont capables de bien prendre en compte des situations extrêmes. Dans le cas de STICS, il y a déjà un formalisme qui prend en compte le CO2 et donc son effet sur la photosynthèse et l’efficience d’utilisation de
l’eau. Et en parallèle, il y a un groupe international qui travaille sur l’amélioration de ces formalismes.

Quelle part de la baisse de rendement est liée au changement climatique?

On peut dire que l’impact du changement climatique sur les baisses de rendement est significatif mais il est difficile de répondre plus précisément à cette question car de nombreux facteurs influent sur le rendement, en dehors du facteur hydrique, et nombre d’entre eux sont influencés par le changement climatique (par exemple le développement de certaines maladies). 

Il y aurait un travail à faire d’analyser les différentes composantes et facteurs qui affectent la diminution du rendement. Cela à déjà été fait par le passé pour d’autres cultures (le blé – Brisson et al., 2011) et il serait important de réaliser ce type de travail pour bien identifier le rôle du climat là dessous.

Quelles premières réactions de la filière au zonage pédoclimatique ?

La filière, à travers ses organisations représentatives réunies en Conseil de Bassin, a validé l’orientation stratégique proposée en 2011 qui incluait le principe d’un zonage pédoclimatique et l’implication de la profession dans son élaboration. A partir de 2018, l’interprofession majoritaire languedocienne, InterOc a souhaité avancer dans cette voie en commandant à la la communauté scientifique Montpellier Vine & Wine Sciences une étude sur les rendements et la compétitivité qui commence par un travail de segmentation pédoclimatique régionale.

Quelle distinction fait-on entre surfaces irrigables et irriguées, sur le réseau BRL ?

Une parcelle peut être tout d’abord considérée comme potentiellement irrigable si elle est suffisamment proche d’une borne d’irrigation (dans un rayon de 200 à 300 m) : 120 000 hectares sur le réseau BRL. Sous réserve d’une part que la ressource en eau soit effectivement disponible et que, d’autre part, le dimensionnement du réseau (stations de pompage, tuyaux) permette effectivement son acheminement, ce qui définira les surfaces irrigables. Demeure enfin la décision de recourir ou non à l’irrigation une année donnée pour le client, en fonction le cas échéant de l’assolement, des conditions climatiques et de ses stratégies propres. En 2020, environ 45 000 hectares sont effectivement irrigués en 2020 sur le réseau BRL.

Les réseaux BRL existants sont ils à saturation ? ou doit-on s’attendre à ce qu’ils soient davantage sollicités en termes de volumes ?

Selon BRL, de très nombreux secteurs sont désormais saturés hydrauliquement, en lien avec le dimensionnement des réseaux, si bien que BRL ne peut techniquement pas répondre à toutes les demandes de ses clients. Les Costières de Nîmes sont une exception notable, qui s’explique par un dimensionnement initial généreux des réseaux pour de l’arboriculture, sur un territoire finalement très fortement viticole aujourd’hui.

Y a-t-il des études sur l’impact des prélèvements en eau sur les ressources à horizon 50/100 ans ?

Il n’y a pas de prélèvement supplémentaire possible ni même envisagé par BRL sur les ressources locales languedociennes. Les prélèvements estivaux réalisés le sont à partir de réserves situées en amont, et dans la limite des volumes à conserver pour le fonctionnement des milieux naturels.

Le Rhône quant à lui est une ressource abondante, mais pas inépuisable. Le prélèvement de BRL sur le Rhône atteint environ 150 millions de m3 par an en 2022. L’écoulement total annuel du Rhône à Beaucaire est de 54 milliards de m3 et le volume prélevé par BRL représente donc 0,3% à l’année. Cependant l’impact à l’étiage est plus important. Le prélèvement de BRL sur le Rhône est aujourd’hui limité par un droit d’eau de 75 m3/s, mais aussi et surtout par une capacité de pompage de 20 m3/s environ. A mettre en regard de débits d’étiage historiques du fleuve d’environ 500 m3/s, et d’un seuil de vigilance nécessaire pour l’usage agricole en dessous de 800 m3/s à Beaucaire. 

BRLi s’est vu confier par l’Agence de l’Eau RMC une étude sur l’hydrologie du fleuve Rhône sous changement climatique. Les résultats publiés en 2023 font état d’une probable diminution de 20% des débits d’étiage au mois d’août d’ici à 2055. Aujourd’hui les volumes prélevés cumulés pour l’ensemble des usages représentent en moyenne 15% des volumes d’écoulement estivaux. Cette empreinte estivale pourrait dépasser 30% et ceci 6 années sur 30 à l’horizon 2055.

B. Face à la contrainte hydrique, quels leviers d’action hors irrigation ?

Dans quel modèle cultural a été calculé le taux de perte hydrique par évapotranspiration? (98%)

C’est une data très générale pour toutes les plantes, pas spécifique à la vigne ou à un modèle cultural particulier. Voici un papier en référence avec ce point https://www.nature.com/scitable/knowledge/library/water-uptake-and-transport-in-vascular-plants-103016037/.

Comment des vignes en milieux très arides (Sardaigne, etc.) arrivent-elles à capter suffisamment d’eau ? Surtout, y a-t-il un lien avec la proximité à la mer : un captage de l’humidité autre que par les racines est-il possible ?

Les racines sont les organes principaux permettant d’absorber de l’eau et répondre aux besoins en transpiration de la plante. Dans les milieux arides, la densité et la surface foliaire sont très réduits pour maximiser la quantité d’eau du sol disponible par la plante et réduire au maximum la surface transpirante (avec forcement des conséquences également en terme de réduction de rendement par plante et par hectare).

Pour favoriser la résilience de la vigne en favorisant l’enracinement profond est-il pertinent de faire des greffages au champs c’est à dire planter le porte-greffe puis d’attendre 2 à 3 ans avant de greffer et de mettre le pied en production ? Est-ce qu’il est pertinent d’imaginer surgreffer à grande échelle les vieilles vignes les mieux enracinées ?

C’est une technique qui était beaucoup utilisée en Méditerranée, notamment en Espagne. Cela permet de maximiser l’énergie du végétal vers le système racinaire et non vers le fruit, ou de changer de cépage. Le problème est qu’aujourd’hui le savoir-faire est en train de disparaître. Un autre frein est le coût: le surgreffage demande plus de main d’œuvre, il est plus coûteux que la greffe sur table.

Tous les leviers présentés pourraient-ils permettre au vignoble languedocien de se passer d’irrigation ?

Cela va dépendre de l’évolution du climat, car même si l’on mobilise tous les leviers existants pour s’adapter (infiltration de l’eau, choix variétaux, etc.), il existe un seuil de pluviométrie en-dessous duquel il devient difficile de produire. Par le pilotage du couvert végétal, on a une marge de manœuvre de quelques dizaines de millimètres d’eau, la mise en œuvre d’autres leviers complémentaires permettent de gagner également d’autres millimètres.

Projet LACCAVE, approche systémique. Pour aller plus loin:

Séminaire organisé par la chaire AgroSYS sur les couverts végétaux en régions méditerranéennes. Lien : https://agrosys.fr/tout-le-monde-parle-de-couverts-vegetaux-pourquoi/

Travail de thèse d’Audrey Naulleau : son travail de modélisation montre qu’il y aura encore de la viticulture non irriguée dans la région en 2100, à condition de mettre en oeuvre une combinaison des leviers qui ont été cités pour s’adapter au changement climatique.

Lien vers la soutenance de thèse https://www.youtube.com/watch?v=xpclw2z3TzY et article scientifique https://hal.science/hal-03489406v1

Quel intérêt d’un couvert quand on est à moins de 150 mm de pluies hivernales ?

Le couvert permet de favoriser l’infiltration de l’eau (être certain que l’eau reste sur la parcelle, et si elle est transpirée, qu’elle produise une biomasse type engrais vert qui sera restituée au printemps). Pour 150 mm de pluies hivernales, a minima, laisser le couvert spontané se développer, ce qui évite un travail de sol.

On a parlé ce matin de l’ombrage apporté par les panneaux photovoltaïques. Sur cette question d’ombrage, qu’en est-il de la viti-foresterie ?

Concernant la viti-foresterie, il existe de très nombreuses combinaisons (espèces d’arbres et distribution dans la parcelle) qui sont expérimentées. Il est difficile        d’affirmer que par principe l’association d’arbres avec la vigne permet de favoriser l’ombrage et donc limiter les besoins en eau de la vigne. Les arbres peuvent être en compétition avec la vigne pour les éléments minéraux et l’azote, ainsi que l’eau. Dans certains cas, l’ombre portée et la compétition pour les nutriments peuvent dans certains cas réduire la vigueur de la vigne et ainsi diminuer les besoins.

C. Quel modèle d’irrigation durable ?

Comment gérer l’irrigation dès la plantation pour ne pas rendre la vigne « addict » à l’eau ? Le goutte-à-goutte permet la gestion de la ressource, mais n’y a t-il pas un risque de développement des racines le long du goutte-à-goutte et un problème sur le système racinaire et sa résilience au stress hydrique ? Apporter au maximaum 5 à 10 mm par semaine favorise-t-il la résilience de la vigne à la sécheresse (notion d’entrainement) ? Comment irriguer la vigne sans diminuer sa capacité à résister à la sécheresse ?

Le goutte-à-goutte ne rend pas la vigne « addict ». Si le sol le permet, on peut trouver des racines de vigne irriguées au goutte-à-goutte depuis leur plantation, à des fréquences de 2 à 3 fois par semaine, qui descendent jusqu’à 3 mètres de profondeur.

D. Questions générales / Table ronde

Si on développe l’irrigation, par des retenues, des nouveaux réseaux, c’est pour quels viticulteurs et quelles viticultures ? Sous quelles conditions ?

Les projets partent des demandes du terrain. Il n’y a pas de politiques connues qui incitent un type de viticulture plutôt qu’une autre. En revanche, l’eau est davantage accessible dans les plaines et semi coteaux que dans les zones AOC (mais certaines AOC sont aussi en terrain relativement plat et accessibles aux réseaux).

Alors que le Plan Eau et les autres « accords » avant lui parlent d’objectifs sectoriels d’économies d’eau, est-ce que la ressource elle-même (Rhône, Durance,…) permet de seulement imaginer le développement de l’irrigation ?

D’après les compagnies d’aménagement les débits mobilisés sont encore minimes par rapport aux débits disponibles. Si ceux-ci sont limités à l’étiage, les perspectives hors saisons (pour du stockage ou de la submersion hivernale par exemple) sont encore réelles.

Ce matin, la première présentation disait que l’on peut s’adapter au changement climatique jusqu’aux projections de 2050, au-delà on ne sait pas. Investir des centaines de millions pour des aménagements hydro viticoles est-il censé vu qu’il faudrait une cinquantaine d’années pour les amortir ? La société française pose de plus en plus cette question. Quelles réponses ?

Oui la question du coût-bénéfice du point de vue de la société doit être posée. Des travaux en cours devront permettre d’avancer des réponses (e.g. Thèse Juliette Le Gallo).

L’irrigation est présentée comme un levier complémentaire à d’autres pratiques viticoles d’adaptation mais dans les faits ne diminue t-elle pas le besoin pour les agriculteurs d’adopter de nouvelles pratiques viticoles ?

Oui probablement, il faut avoir en tête que l’irrigation ne sera peut-être pas autorisée ou possible dans le futur et anticiper les autres leviers un maximum. De la sensibilisation doit être faite à ce niveau.

Dans la presse

https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/05/31/crise-de-l-eau-ruee-vers-l-irrigation-dans-les-vignes-du-sud-de-la-france_6175593_3244.html